HISTOIRE  DE  NOS  ANCÊTRES

UNE  FEMME  SCÉNARISTE  DE  B.D.

                                                    LOUISE   LEPICARD                                

                                                                                                          

A travers ces pages, nous vous présentons quelques traits de ce personnage hors du commun, à la fois scénariste de BD, scénariste de théâtre pour enfants, écrivain et poète, femme au travail, au sein d’une toute nouvelle profession, dans un milieu masculin, engagée par ses écrits. 

                                                                                          

Louise Lepicard, 1881-1931, née à Rouen, est fille de Henry Pinel et Marie Keittinger et mariée, en 1903, avec Fernand Lepicard. D’une fratrie de 9 enfants, et bénéficiant d’un précepteur, elle a toujours regretté de n’avoir jamais été à l’école. Alors que ses sœurs sont plus coquettes, Louise aime les robes strictes, « collet-monté ».

Elle sait développer et mettre en valeur ses talents littéraires. Elle écrit d’abord des nouvelles et poèmes, puis des saynètes qu’elle fait jouer par ses proches, à l’occasion de fêtes de famille au château de Bardouville, près de Rouen. Elle aime parodier les gens de son entourage et fait une large place à l’humour comme ingrédient de l’existence 

UNE   BELLE  CARRIÈRE  LITTÉRAIRE
Saynètes  et  monologues.
Prise au jeu littéraire, elle collabore régulièrement, de 1921 à 1930, sous le pseudonyme de Hellèle (contraction de Louise Lepicard) à l’Étoile Noëliste, journal pour enfants de familles catholiques, édité par la Maison de la Bonne Presse, aujourd’hui Groupe Bayard-presse.

                                                                                                                                                                                                                                                                        

Ce journal produira, notamment, des saynètes et monologues d’Hellèle, comme : Le goût des classiques, L’Amérique du Sud, etc... Elle écrit dans la revue « Guignol, cinéma de la jeunesse »  où elle publie, en 1930, une pièce de théâtre « Guignolet a volé ».

Elle publie un livre de 6 saynètes pour théâtre de guignol, intitulé : Les récréations enfantines.

Elle collabore également à un hebdomadaire en vogue pour les jeunes filles de la bourgeoisie :  la Semaine de Suzette, l’un des premiers hebdos de bandes dessinées, qui paraît durant un demi-siècle, de 1905 à 1959.          

                                                                                                                                

Nouvelles  et  scénario de BD.

La Semaine de Suzette publie bon nombre de ses nouvelles. Nous avons retrouvé, en 1921 : Le concours, La fée Verveine, La montre. Et puis : Le beau manteau, en décembre 1923, La marquise de Sévigné, en janvier 1924,  Les cerises en 1926,  La poupée,  en janvier 1929.
Elle s’attèle, ensuite, à un scénario de bande dessinée « Miloula la négrillonne » qui connaîtra un certain succès,  pétillant de couleurs et finement illustré par un dessinateur :  R. de la Nézière.
Publié chaque semaine en deux pages couleurs, dans la Semaine de Suzette, (les seules pages couleurs à l’intérieur du périodique), ce feuilleton de 30 pages durera 15 semaines, s’étalant sur 1928 et 1929. L’ensemble de son récit est ensuite publié, en 1929, sous forme d’un album, aux éditions Gauthier-Languereau.
    

SCÉNARISTE   DE   B.D.

Louise Lepicard est la seconde femme scénariste de BD à réussir à se faire publier, en 1929, dans un magazine grand public français, dans les pages centrales en couleurs.
La première femme est Jacqueline Rivière, scénariste des premiers récits de Bécassine en 1905, rapidement relayée par Caumery (pseudo de Maurice Languereau) jusqu’en 1941. M. Languereau est l’éditeur de La Semaine de Suzette. Jacqueline Rivière et Louise Lepicard ont collaboré, régulièrement, à la Semaine de Suzette.

                                 

La BD Miloula est éditée en couleurs, occupant les deux seules pages intérieures colorées,  qui étaient réservées, jusque là, à la série «  Bécassine ».
Dans les revues de l’époque, les femmes auteurs, et publiées, écrivent des scénarii relativement brefs : nouvelles, contes ou poèmes. Les femmes auteurs de BD représentent, aujourd’hui, 1 % du nombre d’auteurs de BD  de grande diffusion.
Il s’agit donc, à travers cet ouvrage, de l’importante contribution d’une femme à la construction du  9° art en France.
 
-  UN  THÈME  POLITIQUE  A  RISQUE :
LA  COLONISATION.
Louise Lepicard ose et prend le risque de situer son scénario dans un décor d’actualité, la colonisation, dépassant le cadre « neutre » des traditionnelles revues illustrées de l’époque (couture, recettes de cuisine, histoires banales, mots croisés). C’est la première femme scénariste, en France, à placer ses personnages dans un décor politique, en 1929.

 

                                        

La colonisation connaît en effet son apogée au début du XX° siècle et le thème colonial sera abordé, en 1930, par une revue enfantine belge « Le journal du petit XX° » qui publiera « Tintin au Congo », de Hergé.

  Notons que, Miloula, le personnage central, d’origine africaine, est mise en valeur, ce qui n’est pas toujours le cas des publications des années 1930-1950 qui aborderont le sujet sous un éclairage à connotation, soit paternaliste, soit méprisante, voire raciste. Utilisant les mots de l’époque, qui peuvent paraître déplacés aujourd’hui, Louise Lepicard présente, du continent africain, une image jeune, colorée, joyeuse, aimant vivre et faire la fête.
Mais l’auteur va bien au-delà. De par son éducation chrétienne, elle oriente son récit vers un rapprochement des peuples et des continents. Rapprochement Nord-Sud, entre Africains et Européens. Philosophie humaniste et application chrétienne de l’Évangile.
 

                                               

LE THÈME  DE 

L’ENFANT EN  QUÊTE  D’AMOUR
Si le message humaniste, reposant sur la tolérance et la paix, constitue le fil conducteur du récit, le scénario et les personnages des aventures de Miloula gravitent autour du thème fondamental, et toujours d’actualité, du soutien à l’enfant orphelin et de l’adoption.
Histoire d’une enfant à la recherche de ses racines, à la recherche d’une parcelle d’amitié de la part de l’adulte, en quête d’amour sur les routes de l’existence. La danse, la joie et les couleurs en constituent la trame, vers un but positif.
Louise Lepicard a rédigé une suite à ce récit. Un brouillon en forme de synopsis, écrit peu de temps avant sa mort. Miloula y rêve de voyages, de retour vers son île natale, mais finit par rester dans sa famille adoptive et se rapproche d’un bel officier de marine. 

A suivre…

 

LE  PÉRIODIQUE
 LA  SEMAINE  DE  SUZETTE
Éditeur : Gautier Languereau, Paris.   (Aujourd’hui fait partie du groupe Hachette).
Publiée en 1905, la revue s’éteindra en 1959.
Public visé : C’est l’illustré par excellence des petites filles issues de la bourgeoisie française.
La Semaine de Suzette a su s’imposer sur le marché grâce à une révolution dans la bande dessinée périodique :
° Ses personnages se situent dans l’actualité du moment.
° La couleur et la mise en pages rendent sa lecture attrayante, plus moderne. La qualité des dessins est nettement améliorée.
° Une corrélation étroite existe entre textes et dessins.
° Un personnage phare sert d’emblème. Bécassine, avant guerre. Avec des aventures, des voyages et de l’exotisme (Exemple :  Bécassine en Amérique, parue en 1921).
Cette politique offensive permet à la revue de dominer le marché entre 1920 et 1939 et de passer le cap de la seconde guerre mondiale. Le déclin s’amorce à partir de 1950, jusqu’à 1959, avec, entre autres, le succès de l’école belge de la BD (Tintin et Spirou) et l’arrivée de la bande dessinée outre-atlantique (Mickey).

             

Aujourd’hui, la Semaine de Suzette fait partie du patrimoine du « 9° art » en France et constitue l’une des revues recherchées par les collectionneurs de BD. Bécassine en constitue le personnage central. L'album Miloula, presque introuvable sur le marché de l’occasion, apparaît comme une pièce importante de notre patrimoine familial.
          
Ø  LA  BANDE  DESSINÉE.  Lexique.

 

BULLES  ET  BALLONS
Les fameux phylactères (appelés aussi bulles ou ballons), nés en 1904 en France, apparaissent régulièrement, à partir de 1925, avec la série « Zig et Puce », dans une autre publication. Les puristes de la bande dessinée pensent que celle-ci est officiellement née lorsque le texte a été positionné à l’intérieur de l’image, au moyen d’une bulle. Les récits illustrés en bas de l’image ne sont, pour eux, que des précurseurs de la BD.
DÉFINITION  (Larousse)
« Séquence d’images accompagnées d’un texte relatant une action dont le déroulement temporel s’effectue par bonds successifs d’une image à l’autre, sans que s’interrompe ni la continuité du récit ni la présence des personnages ».
 Ce besoin de communication par l’image, de laisser une trace visuelle de son passage sur terre,  prend sa source à l’époque des peintures rupestres. Cette technique continue à évoluer au fil des ans. On en retrouve traces sur la colonne Trajane, les fresques et vitraux des églises et cathédrales et la tapisserie de la Reine Mathilde. Le continent sud-américain et l’art africain fourmillent également d’exemples. 
La B.D. prend le relais et trouve son essor par sa diffusion de masse au XIX° siècle, en Europe et aux Etats Unis d’Amérique.
La bande dessinée est devenue, aujourd’hui, un art à part entière, appelé le 9°art.
 

                                                                                                                                                  Louise Lepicard, devant sa bibliothèque, vers 1930

        c. Copyright. Guy Dieppedalle

        mars 2003